Dirigeants & juristes : quelles interactions ?
Dans quels domaines d’intervention les juristes sont-ils attendus ?
Lorsqu’il s’agit des questions sur les enjeux juridiques majeurs de l’entreprise, la conformité et les risques arrivent en première position (21,98%). Quand le degré d’exposition aux risques est fort, le juriste devient indispensable dans la cartographie et le traitement. En seconde position, l’assistance aux différents services et validation des projets stratégiques recueillent 18% des sollicitations. Des éléments qui n’avaient été mentionnés que très rarement en 2016. Dans le cadre d’une vision plus classique de la position du juriste, la protection des relations commerciales (13%) et des résolutions de conflits (12%) est très attendue.
“La culture de l’entreprise pousse à ce que les acheteurs et les commerciaux soient tous formés à manier et amender leur contrat de manière autonome et sans recours au “business affairs”. Ne remontent au “business affairs” que des contrats non standard, financièrement stratégiques ou très complexes (avec des majors US par exemple). Seul le “business affair manager” décide de consulter les avocats externes.”
Emmanuelle GUILBART, directrice générale adjoint, ABOUT PREMIUM CONTENT
Quelle direction consultez-vous le plus souvent ?
La direction juridique est désormais en quatrième position des directions les plus consultées. Une fois les objectifs financiers et commerciaux fixés, il faut pouvoir s’appuyer sur les équipes juridiques ! La majorité des répondants jugent que la valeur ajoutée des juristes est « indispensable/forte » (84%) dans toutes les étapes de la vie d’une entreprise et de ses projets. Les scores les plus élevés concernent, sans grande surprise, la rédaction de contrats et le contentieux. Le juriste est considéré comme incontournable en matière de contrats (négociation, rédaction, résiliation). Cela fait de lui le garant du bonne équilibre des relations commerciales de son entreprise.
La valeur ajoutée est en croissance par rapport à ceux de 2016 notamment sur l’importance de les impliquer en amont des projets, que ce soit lors de la préparation (52%) ou du démarrage de ces derniers (43%).
“Réponse complexe car très liée à l’actualité. En cas de gros projets, type réorganisation ou de contrat majeur à finaliser, on pourrait dire que la direction juridique se trouve dans le top 3. Puis, pendant plusieurs mois, on peut ne pas avoir de raison de se connecter souvent. Donc une activité que je ressens encore comme non linéaire au fil de l’année.” Anne GUICHARD, worldwide chief e-commerce officer, L’OREAL
“La direction juridique n’est pas dans mon top 4, mais à 100% de sa part dans mon comité exécutif de 7 ou 8 personnes, comme le DAF, le directeur des ventes, le DRH, etc.”
Billy SALHA, directeur général, FLEURY MICHON
Comment travailler avec les juristes ?
71% des répondants qualifient positivement les méthodes de travail et de collaboration des juristes avec les dirigeants et leurs équipes. Ainsi, ils considèrent les équipes juridiques réactives pour 18%, proactives pour 29%, collaboratives en ayant recours à des outils numériques pour 16%. En revanche, seulement 8% des dirigeants estiment que les méthodes de travail des juristes sont innovantes.
De plus, 29% les considèrent encore trop passifs. Il convient cependant de noter que ce pourcentage est en baisse très significative par rapport à la précédente étude réalisée en 2016. Les répondants considéraient alors que 41% des juristes étaient enfermés dans leur tour d’ivoire. Il y a donc ici un vrai progrès. Comme si ” dirigeants et juristes avaient appris, au fil du temps, à mieux se connaitre, à s’apprivoiser, et à trouver les éléments d’un langage commun. Cette tendance pourrait sembler contradictoire avec la perception des dirigeants considérant que la communication et le relationnel ne sont pas encore les points forts des juristes. Une analyse qualitative permettrait de creuser ce paradoxe.
Quels domaines doivent investir les juristes ?
On attend des juristes (25%), qu’ils partagent avec les différentes directions de l’entreprise les sujets juridiques majeurs. Ceci est primordial et cohérent avec ce qui a été souligné précédemment : la volonté de la direction générale de mieux se projeter, d’anticiper et de manager les risques. Ensuite (24%), les juristes se doivent de connaître les autres fonctions de l’entreprise et d’identifier les besoins des opérationnels. En effet, mieux anticiper les effets des réglementations et régulations sur le business est une démarche indispensable dans le management et la cartographie des risques. Enfin, les juristes ont la responsabilité de faire connaitre les domaines d’action de la direction juridique et de faire comprendre leur fonction (17%), par la mise à disposition d’outils d’information et de formation, auprès des non-juristes. Ces résultats montrent que les attentes des clients internes des juristes portent principalement sur leur capacité de communication et de pédagogie.
Partagez-vous le point de vue des dirigeants ?
Je trouve les remarques très pertinentes. Cependant, quand il est dit que “On attend d’eux (25%) qu’ils partagent avec les différentes directions de l’entreprise les sujets juridiques majeurs” je pense qu’un pas doit être également fait vers les DJ, car elles ne sont toujours pas forcément rattachées à la direction générale. Plus la DJ est éloignée de celle-ci, plus il est compliqué de faire circuler les informations de manière générale.
Adrien Veillepeau, étudiant BLM & LLM, EDHEC Augmented Law Institute – EDHEC Business School
Pour une meilleure intégration dans les projets de l’entreprise
Comme évoqué précédemment, la formation d’opérationnels par la direction juridique sur certains points identifiés est désormais plus que nécessaire (30%). De quelle manière les directions juridiques peuvent-elles rendre les non-juristes responsables face au droit ? Pour 22% des dirigeants, une première solution passe par l’intégration ou l’internalisation de juristes au sein des directions fonctionnelles ou opérationnelles. Le recours à un juriste référent à leur activité au sein du service juridique est également envisagé. En outre, ils envisagent (15%) l’intégration des fonctions affaires publiques et réglementaires à la direction juridique. De plus, la stratégie de recours à des conseils externes permettrait radicalement de renforcer la proximité du droit avec le business, mais ne semble pas être encore privilégiée par la majorité des entreprises.
Comment les directions juridiques peuvent-elles répondre à ces attentes de plus de proximité ?
Faire comprendre notre domaine de compétence et ce qui relève de notre travail est nécessaire pour pouvoir rendre la collaboration et la communication optimale. Il s’agit de permettre à l’opérationnel de fournir au juriste exactement les informations dont ils ont besoin pour qu’il puisse répondre au mieux à ses attentes.
Le process d’avoir un seul référent juridique par équipe permettrait d’améliorer la proximité entre la DJ et les opérationnels. Le juriste pourrait alors développer une relation plus personnelle avec son client et ses problématiques récurrentes, et ainsi y répondre au mieux.
Sarah P, étudiante dans une grande école de commerce.
Le budget de la direction juridique : un tabou ?
Les dirigeants et opérationnels sembleraient ne pas – ou presque – avoir connaissance du budget alloué aux « juridiques » de l’entreprise ou ne souhaitent pas répondre à cette question. Il se dégage une vision approximative.
33% des répondants ne savent pas combien est alloué à la DJ, 34% considèrent que le budget est de 0 à 1% du CA, 25% considèrent que le budget est de 1 à 5%, 3% considèrent que le budget correspond aux alentours de 10%, 5% considèrent que le budget correspond à plus de 15%.
Dans une autre étude réalisée en 2021 pour FORBES auprès des secrétaires généraux et des directeurs juridiques du CAC 40, il ressort : “la notion de « services juridiques » n’ayant pas tout à fait la même définition selon les zones géographiques, la consolidation des données entre les différentes entités des groupes internationaux semble être l’une des raisons.”
Les échelles communiquées par les groupes du CAC 40 sont en moyenne d’une dizaine de millions, avec une répartition 60-70% pour l’interne et 40 à 30% pour les honoraires d’avocats hors opération exceptionnelle (grands contentieux exceptionnels civils ou pénaux, acquisition, OPA, …) Le budget peut alors être considérable, notamment en honoraires d’avocats qui seront l’un des plus gros postes dans un arbitrage international, par exemple.
Comment estimez-vous les budgets dédiés à votre direction juridique ?
« Nous avons, bien entendu, défini un budget en début d’année avec quelques hypothèses. Il semble bien suffisant, mais peut être adapté en fonction du nombre de contentieux / sujets, etc. »
Billy SALHA, directeur général, FLEURY MICHON
« Oui, nous avons une enveloppe annuelle basée sur les dépenses réelles de l’année précédente et qui couvre nos besoins et suffisamment large pour couvrir des besoins exceptionnels (consultation piratage informatique par exemple). »
Emmanuelle GUILBART, directrice générale adjoint, ABOUT PREMIUM CONTENT
« Oui bien sûr, ils sont élevés et figurent avec le budget IT dans le top 3. Ils sont en constante augmentation et à ce jour sont suffisants dans la partie juridique, insuffisant dans la patrie compliance. »
Bruno de PAMPELONNE, directeur général, TIKEHAU INVESTMENT